LETTRE OUVERTE À S.E. Federica Mogherini*
*Haute Représentante pour la politique
étrangère de l'UE
Excellence,
Permettez-moi
d’exprimer le sentiment qui voudrait emporter celui qui, pour trop aimer une
Italie qui n’est plus, écrit cette lettre ouverte « en volontaire
exil » depuis le pays du Maghreb qui est peut-être le plus attristé et le
plus culpabilisé dans le cyclone terroriste qui est en train de secouer des
continents entiers du globe : cette Tunisie qui surplombe le gouffre
libyen et dont je ferais au moins mon propre témoignage.
La
résolution finale de la circulaire du Conseil des Affaires étrangères de
l'Union européenne, le 12 Octobre 2015, telle que rapportée par l'agence ANSA avec des communiqués de
presse qui font écho de la volonté actuelle de domination atlantiste US -
ou plutôt exclusivement celle du Président Obama - devient un brûlot
incendiaire qui peut seulement amplifier à démesure le conflit au Moyen-Orient.
Et cela par des tons impératifs, du type « les attaques
de la Russie doivent cesser immédiatement car sur des objectifs qui vont
au-delà de l’Etat Islamique et les groupes désignés terroristes par
l'ONU », ou les accusations venimeuses de «violation russe de
l'espace aérien des pays voisins» en Syrie.
Il
suffirait de dire par contre que toutes les actions militaires menées par les
pays étrangers, celles anglo-américaines, celles françaises, celle de la célèbre "coalition internationale" qui semble si faible devant le
monstre « Daêch » (« Etat Islamique »), ne se justifient pas en termes de droit
international, car elles piétinent la souveraineté syrienne et son Président légitimement élu Bashar Al-Assad,
quelles que soient vos opinions et votre politique étrangère, parce que le
peuple syrien - appelé au scrutin dans une situation dramatique de boycott
médiatique, a quand même légitimement choisi. Il a choisi, malgré le
terrorisme que des lobbys sans nom ont payé, financé et médiatisé d’une façon
honteuse et éhontée.
Autant
dire que le brave Président de la Fédération de Russie, que Dieu le bénisse, a agi en toute responsabilité devant la menace mondiale d'un
terrorisme barbare et féroce, en pleine conformité avec les principes du droit international sur la base d'une demande directe du gouvernement syrien.
Autant
dire que sur la même base que le Conseil des Affaires étrangères de l’UE sollicite,
doit également cesser de la part d’Ankara l'action de soutien logistique pour des
cellules terroristes liées à Al-Qayda, au Front al-Nosra, et à d'autres qui ont
commis des crimes contre l'humanité non moins horribles que ceux du soi-disant l'État
Islamique, dont l'acronyme arabe Daêch.
On ne peut pas oublier le scoop du journal Cumhuriyet juste parce que le Président islamiste Erdogan a menacé ce journal de censure et son directeur de
"prison à vie"!
Je pense que sur ce point Vous
serez d'accord.
Et
j’oserai Vous faire présent pareillement que toute faction armée qui commet des
crimes notoires de terrorisme, (y compris le cannibalisme) et je parle ici de
ces mêmes factions que l'Etats-Unis prétendent considérer «modérées», en les
soutenant et en les armant, selon une pratique de double standard qui appliquent
aussi en Libye, et voilà que c’est évident de considérer ces factions comme des
ennemis de l'Etat et du peuple syrien qui en est martyrisé et les forces armées
fidèles ont le devoir de les combattre, comme justement fait aussi le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine en tant que direct allié militaire de la Syrie. Nous ne pouvons pas être aveugles devant à la réalité
du soutien populaire pour M. Poutine en Tunisie et ailleurs dans le monde arabe
ou l'admiration qui se répand également pour le leader syrien Al-Assad, qui est
maintenant salué comme un héros du nationalisme arabe.
On
doit prendre note des conclusions hâtives et illogiques, aptes à satisfaire la
haine venant des pétromonarchies tyranniques et dictatoriales du Golfe, que certainement
l'Union européenne ne se permettra jamais de critiquer en ces temps de crise
économique, par des affirmations absurdes comme « le régime d’Assad ne peut pas
être considéré comme un partenaire dans la lutte contre l’EIIL » ("Etat
Islamique en Irak et Levant").
Et
pourquoi, demanderais-je, ne pourrait-il pas l’être, parce qu’il est un régime
laïque inacceptable pour les extrémistes islamiques? Pourquoi ne devrait-il pas l’être, tout étant la
première victime du siège terroriste de la part des jihadistes sanguinaires
repartis en plus de 80 nationalités, parce qu’il s’agit en tout cas d’un
gouvernement dirigé par un Président qui a fait ses études en Occident, et qui
sait malgré tout comment se présentent d'une manière digne et civile dans un
pays déchiré par des conflits séculaires et par les envies des régimes tribaux, car
c’est un Président qui doit contenir la haine absurde et irresponsable des
parties étrangères et se défendre devant des médias déchaînés dans les
campagnes de dénigrement, interagissant beaucoup mieux de ce que fait le
Président turc Erdogan qui a déjà déchargés des centaines de milliers de
réfugiés sur les frontières de l'Europe et qui fournit des
couvertures aux crimes génocidaires, comme ils s’est précisément produits dans le siècle dernier, contre les minorités ethniques et religieuses,
les Chrétiens et les Kurdes ?
Où est jamais fini le commun bon sens?
Le chantage turc pour le "maintien
temporaire" des réfugiés coûte à l'Union Européenne déjà plusieurs
milliards d'euros.
Le jeu des pantomimes "printanières"
en fait ne fonctionne plus, car il n’est plus crédible. Le moins que l'on
puisse dire assurément dans le cas de la Tunisie, le pays de la
"révolution de jasmin", mimée sur la même expression journalistique,
la même «révolution du jasmin», qui aurait déjà fait le "dictateur"
Ben Ali
en 1987, avec un coup d'Etat contre le sénescent Président Bourguiba. C’est cela que la
presse célébrait dans la foulée de son "7 Novembre", que j’ai je tellement
critiqué au temps du régime. J’ai subit l’expulsion du pays, parce que dans
mon séjour en Tunisie, en 2002, il y avait odeur de dissidence. Je ne regrette pas
d'avoir dénoncé –en 2003 avec un article qui est toujours en ligne - le régime répressif de Ben Ali.
À toutes fins pratiques, je peux vous assurer qu’aujourd'hui beaucoup de Tunisiens -la plupart- sont convaincus qu'en Tunisie il
y a eu un «complot-bis », en janvier 2011. Et que l'Amérique d'Obama,
celle de «droits de l’homme spécial » et du « prix Nobel pour la paix »
qui anticipe les massacres de guerres
civiles, celle des services secrets cyniques et manipulateurs, en y est dedans jusqu'à
ses oreilles. Ne fusse-t-il que pour
les évidentes faveurs faites aux islamistes au cours de ces dernières années -et
même à leurs factions les plus extrémistes, pour ne pas dire terroristes ...
En plus, il y a la question libyenne. Sur
ce, je ne voudrais pas répéter le contenu d'une lettre précédente, où je Vous
ai dit franchement qu'il apparaît vain d'attendre une convergence entre les milices islamiques à Tripoli et le gouvernement légitime qui est exilé à Tobrouk. Même ici, un concept de doubles standards contredit l'application
pacifique des principes démocratiques chers à l'Union européenne.
Comment peut on accepter le fait que lorsque
les élections en Octobre 2011 en Tunisie ont donné la victoire au parti
islamiste, immédiatement il y avait la reconnaissance de l'Union européenne , le soutien et la pleine remise de
fonds et des moyens concrets pour un gouvernement transitoire qui s’est
néanmoins révélé désastreux tel qu’un écroulement national en termes
économiques, des droits humains et de la sécurité régionale; tandis que lorsque
les élections du 25 juin 2014 en Libye ont scellé la victoire électorale du bloc nationaliste contre celui des
islamistes, on trouvait de la part de l'UE une communication
hésitante, un manque de soutien financier, et même l'indifférence face à
l'invasion des milices islamistes, avec armes et mercenaires envoyés principalement
par la Turquie et le Qatar ?
Le sinistre spectacle des dépôts de pétrole brûlés au terminal de Sidra par ces mêmes groupes islamistes qui soutiennent
aujourd'hui la coalition de Tripoli n’a pas tout à fait suscité assez
d’indignation, de réprobation et de condamnation, avec des mesures de rétorsion
conséquentes, comme on s'y attendait de la part de l'Union européenne, face à
la destruction des millions et des millions de barils de pétrole, comme face à
la misère des réfugiés africains, massés dans des véritables camps de
concentration où ils meurent
lentement de déshydratation et de malnutrition , en attente d'être
expédiés vers l'Europe dans les cargos du ''dernier rivage", ayant
seulement un mirage avant la mort. Ce marché inhumain est organisé par une
mafia qui a son centre de gravité dans le sous-bois du gouvernement illégitime des
milices à Tripoli: Cette politique de doubles standards est enfin irresponsable
et scandaleuse!
Comment peut-on parler de «légitimité
révolutionnaire» d’un gouvernement pirate installé à Tripoli, qui a des liens
avec des groupes terroristes comme Ansar Sharia, qui ont
tué des centaines de journalistes, des représentants de la société civile
et d’opposants démocratiques de l'islamisme?
Comme peut-on
reconnaître comme fiable et authentique la décision d'un pouvoir judiciaire
sous la menace de fusils-mitrailleurs à Tripoli et faire par contre les sourdes
oreilles aux justes demandes d'aide du gouvernement légitime en exil à Tobrouk? Aujourd'hui l'Union européenne ne peut
pas cacher sa grave responsabilité avec une farce - permettez-moi
cette condoléance – de communiqués de presse et de critiques essentiellement antirusses
parce qu’affiliées uniquement aux intérêts sordides de cercles atlantistes et de
lobbies sans nom.
Comment pouvons nous ignorer l’éventualité que
des centaines de terroristes jihadistes tunisiens aient été
transportés ces derniers jours par un pont aérien turc du front du jihad en Syrie à
l’aéroport de Mitiga en Libye, sous le contrôle de milices islamistes
du gouvernement pirate de Tripoli pour être réintroduit en Tunisie- selon des sinistres "rumeurs"- avec une mascarade de présumés
«otages» détenus à Sabratha, dans la zone sous contrôle de l'État islamique et
où ce dernier entraîne ses terroristes ?
Excellence, la question est brûlante, le
dilemme essentiel : que va devenir la Tunisie dans quelques mois ou dans quelques
semaines?
Les inquiétudes et les sentiments du peuple
tunisien -des citoyens qui dans les cafés populaires, s’écrient souvent "
Vive Poutine !" ou " Vive Bachar, l’héros national
arabe!"- doivent être pris en compte. Une visite officielle du
Président russe à Tunis a déjà été annoncée par l'Ambassadeur
de Tunisie à Moscou. L'Union européenne ne peut pas faire aveuglément
confiance à des politiciens rodés qui peuvent démissionner d'un jour à l'autre sous
prétexte d'ancienneté ou par une excuse d'incompatibilité bureaucratique de
parti, tandis que ce même pays qui croyait à ses aspirations démocratiques
et à la liberté brûle aujourd'hui à cause d'un sordide complot islamiste sous des
attaques combinées depuis ses frontières, comme mettent en évidence les tristes derniers épisodes de terrorisme .
Et si mes plaintes pourraient même me coûter la
vie, parce que les meurtres visant à faire taire les voix libres ici ne sont
certainement pas un événement rare, je ne me soucierais pas trop de toute
façon. Il y a des
journalistes qui dans ces jours veulent révéler l’épaisseur de cette menace, en
défiant une mafia islamiste qui est plus effrontée et plus railleuse des
libertés que la dictature sous Ben Ali. En tant qu'intellectuel et en tant que
croyant, je crois profondément que l'essence de l'humanité est ceci : le fait
de ne pas rester indifférent à la souffrance de peuples entiers et de l'agonie
de notre civilisation. Puisque c’est aussi la mesure de notre véritable
existence.
Sincèrement
à Vous,
Nino G. Mucci